Le soleil ayant décliné son invitation, la lune, vexée, a donné rendez-vous aux Arsaarnerit. Ces reines incontestées des nuit boréales qui dansent la java là-haut. Petits yeux curieux qui regardez ces images, blottissez-vous, vous allez avoir très, très peur...
L’après midi déjà obscure offrait un ciel dégagé. La lune avait le bon goût d’être bien ronde et bien grosse puisqu’elle s’était rapprochée de notre bonne vieille Terre. J’enfile bonnet, gants, bottes, parka et hop me voilà partie sur le chemin. C’est alors qu’une lueur intense a jailli des montagnes de la Terre de Liverpool.
Fissa fissa, je rentre à la casa chercher ma caméra et je grimpe derrière la Guest-House jusqu’au cimetière, là ou une zone obscure permet d’y voir plus clair. Je révise mentalement les consignes de photos nocturnes, voyons ai-je bien ma frontale, quelle ouverture déjà ? surtout bien garder la batterie de rechange dans la poche intérieure, caler soigneusement le trépied dans la neige glacée.
Je confesse que j’ai hésité à photographier cet instant. Garder pour mes seuls yeux ce spectacle incroyable comme s’il n’était offert qu’à moi seule. La pleine lune d’une incroyable clarté montait de l’horizon montagneux, à la rencontre d’une aurore boréale bien visible malgré la lumière lunaire. Blanche à mes yeux, verte pour l’objectif, elle a fusé derrière les simples croix de bois si romantiques.
Puis elle a ouvert ses draperies en volant vers l’Ouest, mutine, comme pour dire à la lune : me suivras-tu ?
Bien des légendes se colportaient de générations en générations dans le monde inuit à propos des arsaarnerit. A chaque communauté, ses propres récits. Écoutons les souvenirs d’enfance de Lone, souriante jeune femme, alors qu’elle tricote la laine de bœuf musqué au club de couture :
« Lorsque nous étions enfants avec mes cinq sœurs et mon frère, nos grand-parents nous racontaient que les aurores étaient les disparus qui jouaient à la balle avec leurs crânes. Si on sifflait, ils se rapprocheraient. Nous étions terrorisés, bien sûr. Mais tout cela n’est que contes de fée d’autrefois. »
Nous voici rassurés.
[note à l'usage des curieux d'astronomie : observation faites le 4 décembre à 18h, le lendemain de la coïncidence entre la pleine lune et son périgée, dite "super-lune"]
Commentaires
Bonjour Dominique, photos et histoires toujours aussi belles ! tes talents de photographes s'affirment chaque jour un peu plus. Ceux de conteuse m'étaient déjà connus... Si tu en as l'occasion essaies de faire un petit film pour qu'on voit danser ces fantômes !
Grosses bises de Coco et moi
Maagnifiques photos; et ta "prose -poésie" toujours aussi belle.
Chapeau l'Artiste!
L'Autre
Yo Dominique!
-Tu partages avec les astronomes un contresens qui me va droit au coeur en passant par les zigomatiques grands et petits : "là ou une zone obscure permet d’y voir plus clair". :)
-J'aurais sans doute hesité a shooter moi aussi. Parfois, n'a-t-on pas l'impression que ce qu'on s'apprete a decrire nous est en fait adressé personnellement? Comme un signe posté la pour montrer le cap a prendre vers ta prochaine etape. Tu vois?
-Entre la legende, les tombes, la lune et la java des disparus, tu serais tombee pile pour Haloween. En passant, la legende que tu comptes me fait bigrement penser a une autre sur les origines du jeu de "la crosse" comme le pratiquaient les Hurons et les Iroquois bien avant que n'arrivent les refugies europeens par navires entiers (!) Bienqu'on parle souvent de balles faites de peau de daim bourrees de poils ou de cheveux, il est aussi raconte qu'aux origines on y jouait avec le crane d'un ennemi abattu au combat.
J'attends avec impatience de te lire de nouveau.
C'est vraiment épatant, ce partage, et ces aurores boréales sont tellement étranges.
Je me pose une question sur les langues en usage au Groenland : en quelle(s) langue(s) échangez-vous avec les gens qui vivent là ? Par exemple, avec Lone, quoi tricote la laine de boeuf masqué au club de couture ?
Ah ! les langues inuites ! très sympathique question qui mérite une publication à elle seule, bientôt, c'est promis.
Merci pour ce projet de communication linguistique que j'attends avec impatience, en vous priant d'excuser les malheureuses fautes de frappe du commentaire précédent.
Merci d'être un peu notre magicienne des terres polaires. J'espère, moi aussi, avoir un jour cette chance d'admirer ces drapés célestes.
Salut Dominique ma tantine à moi, alors tes photos se résument en trois mots : FA-BU-LEUSES !!! Je suis scotché d'abord par la qualité de tes photos, ensuite par l'intensité du double phénomène cosmologique et ensuite par ton récit, Jack London n'a qu'a bien se tenir... merci pour ces rêves.
Très chère Dominique, moi qui m'imaginais que tu partais "plusieurs mois dans le noir", je me trompais lourdement ! Tout est étincelant, à commencer par ta prose. Bravo, et encore ! Et la bise.
Photos etincellantes!!. Merci de les avoir prises finalement!!
J'étais montée au cimetière en fin d'été et avais été impressionnée par les trombes creusées par précaution pour les morts de l'hiver....de quoi méditer....Est ce toujours le cas??
Je ne sais pas hélas répondre à cette question , les tombes sont couvertes de neige. Mais par chance la pasteure est de passage et doit célébrer des funérailles. J'en saurais peut être un peu plus !