Le Qiviut, délicat duvet de bœuf musqué, méritait bien les soins les plus attentifs : c'est chose faite ! Voici la saga du Qiviut d'Ittoqqortoormiit, depuis les montagnes du Grand Fjord jusqu’à mon douillet coin-filage parisien...
Quelques jours avant le retour, avant la fin de cette magnifique Expérience i-Nuit, je réalise que les soirées du mardi auprès des femmes du village réunies autour du tricot, du filage, de la couture, allaient me manquer terriblement. Comment éprouver encore, une fois revenue à la vie "normale", la douceur de ces moments ? Comment retrouver ces gestes du filage enseignés par Ruth et Adda ? Et l'incomparable sensualité du qiviut, le duvet de cet étrange animal Umimmaq, pourrais-je m'en défaire ?
Impossible. Une seule solution, je dois rentrer avec une toison de bœuf musqué, et retrouver toute la chaîne des gestes qui me conduira patiemment à de belles pelotes douces et soyeuses. Aussitôt dit, aussitôt fait. C’est le piniardu Gabba qui me pourvoira de la toison d’un animal fraîchement chassé. Sa jolie femme me conduit dans le sous-sol de leur maison au bout de promontoire. Là, une peau bien grattée et séchée m’attend, suspendue sur une corde verte, comme la maison.
la maison du chasseur
Bien, ça, c’est fait. Reste le délicat problème du transport. Par chance en ce début d’année 2018, l’exportation des produits du bœuf musqué vers l’Europe sont encore autorisés. Quelques mois plus tard, nouvelle réglementation groenlandaise sévissant, j’aurais dû renoncer… ou bien…
Mais impossible de caser la toison dans mes deux gros sacs de voyage. Qu’à cela ne tienne, Monsieur le Chef de la police doit bientôt rentrer au Danemark. La toison, emmaillotée dans de vieux sous vêtements (propres, tout de même) attendra dans le conteneur qui va rentrer au Danemark avec le bateau estival.
Il ne reste plus que quelques jours. Vite, demander encore comment traiter la peau, comment arracher les poils, comment nettoyer le qiviut récolté : autant de gestes que je m’efforce de mémoriser auprès de Ruth, la meilleure des coaches.
escapade danoise
Mars 2019 : Il est temps de retrouver ma toison, arrivée au Danemark au début de l’automne et d’évoquer avec Peter le policier et Conni la belle artiste toute la richesse de nos séjours à Ittoqqortoormiit.
Enfin, la toison termine son long voyage et va s’étendre paresseusement sur mon qajaq, dans le jardin breton. Là commence la première opération : laver, humecter, disperser quelques gouttes de savon, enfermer le tout dans un sac plastique, laisser macérer quelques jours.
Voici la toison prête à livrer son trésor, le précieux qiviut. Après quelques tentatives éreintantes, je renonce à arracher poils et duvet à la main et je continue au rasoir. Moins élégant, mais nettement plus accessible pour la néophyte que je suis. Plus de 30 heures de travail me seront nécessaire pour raser presque toute la toison. Me voici à la tête d’un nouveau patrimoine : quatre gros sacs poubelles remplis d’un kilo et demi d’un joyeux mélange de longs poils durs, virant du noir au brun et d’un impalpable duvet marron glacé. Le contraste est saisissant.
La fin de l’été arrive dans notre lumineuse Bretagne. J’attends avec impatience les jours de tempêtes et de grand vent pour séparer le bon grain de l’ivraie, enfin séparer le qiviut des longs poils noirs. Excellent exercice de méditation… Une petite étude statistique m’indique qu’il me faudra quelques 120 heures de travail pour obtenir, à la fin de l’opération, à peu près 800 g de qiviut.
Là, je commence à comprendre pourquoi une pelote de 28 g est vendue 80 €, et pourquoi un simple pull tricoté en pur qiviut atteint 2200 $.
Il est temps de passer aux gestes nobles du filage. Nous sommes en novembre de l’année 2019, il y a tout juste deux ans commençait mon hivernage, tout là-haut sur les rives du grand fjord. Je dois parfaire mon apprentissage, c’est chose faite dans la sympathique ferme des alpagas en Mayenne où je m’exerce à filer la laine d’alpaga sous l’œil attentif de la fermière.
Encore me faut-il disposer des bons outils : j’écris ma lettre au Père Noël qui exauce mes vœux et dépose au pied du sapin un joli rouet tout blanc. Je file, Qitsiua ! Bientôt, sous la verrière de l’appartement parisien, on entend le léger bruissement de la roue rythmé par le pédalier. Le premier fil s’enroule sur la bobine, quelle fierté.
Je l’ignorais avant de commencer cette aventure, mais le rouet ne fait pas tout ! J’apprends ainsi qu’il faut retordre ensemble deux brins pour obtenir un fil solide. Ce qui nécessite un nouvel instrument, le cantre. Je trouve un schéma de l’outil et me transforme sur le champ en menuisier. Voilà le résultat !
ceci est un cantre, Lazy Kate in english
Mais comment passer à la phase ultime, un écheveau élégamment enroulé ? La situation se complique. Je découvre les mystères de l’écheveaudoir. Autrement dit, une sorte de moulin dont les pales ne brassent pas le vent mais enroulent le fil. Dessiner un schéma précis, imaginer les pièces mécaniques, découper, ajuster… je passe la main à mon expert préféré. Il faut un petit mat pour supporter l’assemblage. Nous restons arctiques jusqu’au bout en récupérant l’extrémité cassée d’une pagaie de kayak groenlandaise, en pur red cedar, le luxe absolu.
et ceci est un écheveaudoir...
Et voici comment, d’un animal tout droit sorti de la préhistoire, chassé dans les montagnes de Jameson Land sur les rives du grand fjord Scoresby, s’enroule sous mes doigts émerveillés le fil de laine sensuelle, impalpable.
Commentaires
J'ai lu une bonne partie de votre aventure d'hivernage il y a deux ans.
Passionnés par l'Arctique mon époux et moi-même avons été entre autre deux fois sur la côte Nord Est du Groenland et avons eu la chance de visiter le village d'Ittoqqortoormiit. Nous ne sommes pas aussi aventureux au point d'y rester plusieurs mois..mais nous partageons cette passion avec vous pour ces territoires isolés. J'ai ramassé ce précieux duvet, mais je n'ai pas suffisamment de matériel pour pouvoir le tisser, mais quelles douceur surtout quand on connaît la provenance de ces énormes bœufs musqués. Bravo pour votre persévérance j'attends avec impatience le résultat tricoté! espérant lire encore de belles aventures, vous pouvez, quant à vous, faire plus ample connaissance avec nous sur notre site safari-nordique.net, et échanger avec nous. En tout cas bravo!
Bonsoir Dominique, ça a l'air simple, simple, … enfin pas tant que cela !
Merci de ces explications et des photos, mais je n'ai pas tout compris.
Quelle patience, il faut, mais aussi, je suppose, quel plaisir d'arriver à faire par soi-même ces gestes ancestraux.
Amitiés
Echeveaudoir très stylé!
Bravo pour ta pugnacité!...la récompense est là....j'attends la suite avec impatience!!!que vas-tu confectionner?
J'en profite pour vous souhaiter une super année 2020 avec de nouveaux projets fous!!!!
Bises. Catherine
Thanks to Uncle Google I understood everything. What a wonderful story including "Monsieur le Chef de la police". I am very honored
Congratulations on the result