Avis de (grosse) Tempête

De bon matin, les chiens s’agitent furieusement. Les chasseurs remontent les meutes sur la terre ferme. Il règne comme une tension sourde. Ingasi, regard tendu, me confie que de toute sa vie de chasseur il n’a jamais connu de vents comme ceux qui sont annoncés : 60 à 65 m/s.

 

Danish Meteorological Institute

Ils étaient pourtant heureux, les chiens, d’avoir retrouvé leur place d’hiver sur la banquise, chaudement tapis dans la neige mousseuse, prêts à partir pour les folles équipées. Mais voilà, le mois de janvier peut être cruel, le mois du vrai hiver arctique.

La météo prévient. Les regards sont rivés sur les écrans. Des rafales à 65 m/s. Bien au-delà du dernier niveau de l’échelle Beaufort, Ulussaarsuaq en groenlandais. Si ma calculatrice dit vrai, on devrait connaître du 230km/h et la voileuse que je suis a un peu de mal à imaginer.

 

Fermons les écoutilles et courons à sec de toile. J’ai vérifié soigneusement les fenêtres, poussé le loquet de la porte d’entrée, profité d’une accalmie dans la petite neige ventée qui tombe depuis plusieurs jours pour aller faire quelques provisions, prendre un bon bol d’air, passé voir le poste de police pour vérifier la météo et m’enquérir des consignes.

Des consignes officielles, il n’y en a pas. Chacun ici connaît les règles ancestrales. On ne joue pas avec l’arctique, on fera le dos rond. Les enfants ne sortiront pas, dommage, ce n’est même pas un jour de classe.

Mais surtout on met les meutes à l’abri. Un vent pareil aurait vite fait de briser la glace et d'ouvrir la banquise. Le village garde encore le souvenir douloureux d’une tempête qui, en 2011, a emporté d’un coup une centaine de chiens. Cette fois, Gabba, Naasoq, Ingasi, Ruth, Aqqalu et les autres ont remis les chiens à leurs chaînes terrestres.

Pour l’heure, mon levain est prêt, je m’en vais de ce pas le pétrir. Dimanche, c’est boulange. Oui, je fais la fière mais dans quelques heures je n'en mènerai peut-être pas large.

 

Post Scriptum pour ceux (et celles) qui s’inquiéteraient de ma base arrière : Pascal est bien reparti, juste à temps, après un transfert en moto-neige faute d’hélicoptère. Bien équipé jusqu'au bout du nez.