La truffe enfouie dans le tiédeur de sa fourrure, douillettement blotti dans sa couette de neige, le chien attend patiemment la fin de la tempête. Bientôt, il le sait, reviendra le temps des courses folles.
N’allez surtout pas croire que le chien groenlandais est un toutou domestique. Non, Qimmer est un travailleur, rude et dur à la tâche. Partons prudemment à la découverte du lien étonnant qui unit le chasseur d’Ittoqqortoormiit à son attelage.
Le long du chemin de la baie des morses, dans le lit de la rivière, sur la banquise dès qu’elle est assez solide, la vingtaine d'attelages à la chaîne entourent le village. Tous de race groenlandaise, particulièrement courageux, robustes et puissants. Les comparer à ces chiens de compétition, que l’on voit courir à des vitesses de formule 1 devant les légers traîneaux des célèbres courses d’Alaska ou du Canada, serait se méprendre.
photo Avril 2017, avec Marius Sanimuinnaq
Restons sérieux, ici les chiens ont une seule fonction, vitale : tracter le traîneau du chasseur. Un traîneau massif, lourd, fait pour porter chasseur, matériel et gibier parfois pendant plusieurs longues journées de chasse. Chiens, traîneau, chasseur : une trilogie indissociable désignée d’un mot unique : qamutsi. Et si les chiens sont attelés en éventail, ce n’est pas dans un souci d’esthétique. Sur ces vastes étendues, cette méthode inuit répartit la charge sur une plus grande surface, ce qui s’avère bien sympathique lorsque la glace trop fragile vient à se rompre.
Une vie de chien groenlandais est rythmé par les saisons. L’été, c’est repos, vacances pour tout le monde et c’est de loin la pire saison pour les chiens. Plus de course effrénées, immobilisés à la chaîne pendant ces mois chauds, moins nourris, la belle fourrure qui tombe, c’est totalement déprimant. Mais dès que revient le joli froid, la neige, la glace, c’est la fête à chaque sortie. Et si la chasse est fructueuse, c’est la promesse de sérieux steaks de phoque engloutis en un clin d’œil. Avec un petit complément de granulés, si besoin.
Dans un concert de hurlements, et pour une raison qui restera inconnue des humains, voici qu’éclate une bagarre. Le loup n’est pas loin chez le chien groenlandais et le chasseur doit mettre toute son énergie pour séparer les belligérants avant l’issue fatale, déjà l’un d’eux saigne abondamment. Le fouet cingle aux oreilles des récalcitrants. Élever, éduquer et veiller à la reproduction de la meute ne se fait pas en un jour. De la bonne discipline de l’attelage dépend le succès de la chasse et souvent la vie du chasseur. Leur dressage demande de la vigueur et donc aussi des coups. Âmes sensibles, s’abstenir.
Inkasi, au départ pour une course de deux semaines
Un par un, les chiens sont harnachés, libérés de la chaîne et attachés à la longue corde vert pomme qui le relie au traîneau. On ne s’entend plus, le niveau de décibels atteint celui d’un concert de Rock Métal. D’un seul geste vif, le chasseur saute sur son traîneau et libère la corde qui le retenait au poteau. Dans l’instant, le silence se fait sur la neige, troublé par le seul halètement des chiens et le chuintement des patins. Ne les quittez pas des yeux, ils sont déjà au fond du vallon.
(à suivre, il y a tellement à dire sur une vie de chien)
Commentaires
Quel beau reportage, si instructif. Pour les décibels avant le départ, et le silence dès qu'ils tirent, j'ai , très modestement, vécu cet évènement, lors d'une excursion en Traineau à TROMSÕ. C'est saisissant...ce silence des chiens (des Alaskans, ) avec juste, tout le temps du trajet , trop court (5km) le son du frottement des patins du traineau les secousses sur la neige durcie,enfouie entre une peau de renne et une lourde couverture, le souffle haletant des chiens, et les onomatopées en pointillés du Musher, dans un décor blanc et gris ponctué de lumières lointaines, dans un clair obscur de la nuit qui tombe entre 14H30 et 15h. , des instants vécus dans une émotion indescriptible. Votre texte a réveillé ce vécu inoubliable...
Le profondeur du silence et l'éblouissante beauté du paysage, oui énorme émotion.