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Vue de ma fenêtre #20 Les Envahisseurs

La promesse des beaux jours, le retour de la lumière arctique, ont amené ici deux nouvelles espèces en voie d’expansion : la mouche et le touriste. Total désarroi.

Mercredi 14 Mars

lever du soleil : 6h55

coucher du soleil : 18h20

neige légère

température : -15°C

Un bourdonnement incongru vient troubler ma contemplation. Quelle volonté de vivre anime l’affreuse bestiole noire pour avoir ainsi survécu aux tempêtes du long hiver arctique. Qu’importe, elle n’est pas la bienvenue en ma demeure. Fenêtre ouverte, je la prie de sortir. Elle obtempère d’un vol chancelant et en meurt derechef, bon débarras. Je referme la fenêtre, il fait plutôt frais. Il est très étrange de voir qu’ici, l’annonce d’un ours juste en bas du village ne perturbe pas le quotidien. Mais qu’une sale mouche vienne à bourdonner contre la fenêtre, et c’est la panique dans la maisonnée.

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Arrive l’hélicoptère du jeudi. Chic, sûrement apportera t-il enfin les fruits frais qui nous manquent depuis de trop longues semaines. Une pleine caisse de pommes, et des bananes, et des poires juteuses, quelle aubaine.

Toute à mes rêveries de fruits tropicaux en compagnie de Rosa et Paninguarq mes sympathiques colocataires du moment en mission depuis Nuuk, je me laisse surprendre par l’arrivée brutale de un, puis deux autres, et encore quatre humains engoncés dans leur parfaite panoplie du petit baroudeur polaire. Doudounes volumineuses aux vives couleurs, mitaines épaisses, bottes garanties-grand-froid-à-moins-50, sacs étanches rouges et noirs de la marque légendaire débordant de matériel sophistiqué, impossible de ne pas les reconnaître. Le Touriste est arrivé, enthousiaste, jovial, envahissant, bruyant, français.

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D’un coup on me dépossède du monde patiemment construit au fil de ces quatre mois de quasi solitude, immergée, imprégnée dans la vie de cette communauté isolée au bout de l’arctique. Quatre mois à tisser sans relâche la toile de mon nouvel univers fragile, éphémère, chancelant parfois mais si intense. Une vie hors de l’espace-temps qui sévit là-bas si loin vers le Sud. Je perds mes repères. Une brèche douloureuse me déchire comme la banquise se disloque sous l’effet du grand vent, construisant de perfides sirènes flottant sur une eau tentatrice.

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« Ma » jolie guest-house se pare d’orange sous le couchant. J’enfile ma vieille parka, je file me réfugier au poste de police car ici on noue des amitiés inattendues. Peter, dis-je à l’officier, il faut revoir les règlements d’immigration. Il fait semblant d’acquiescer et m’offre le meilleur des remontants, un bon verre de vin.

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Un petit temps de méditation vers ma chère baie des morses me ferait le plus grand bien. J’y découvre un curieux atoll. Je rentre sur la pointe des pieds. Paninguarq et Rosa se tournent vers moi. D’un regard je sens qu’elles comprennent mon désarroi. Je sors ma quenouille, elles m’entourent sur le canapé, bavardent à voix douce. Ma bulle se reforme. Le calme revient.

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Je demande très humblement pardon aux Envahisseurs, par ailleurs des plus sympathiques et qui me ressemblent étrangement, mais qui ont eu le malheur de faire sonner le réveil trop tôt. Bien entendu, cette remarque ne s’adresse pas à la mouche.

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Commentaires

  • j'adore cet épisode!!! les touristes associés à la mouche!!!( mouches du coche qui bourdonnent)
    avec un humour délicat et scène tellement imagé e(pas besoin de photo , là!!!) et ce sentiment qui transparaît comme, pardon pour le terme violent, un viol de cette belle sérénité que vous avez dû acquérir .

  • Très beau texte, tout en subtilité et légers balancements. J'ai vécu ça parfois, la sortie de retraite est parfois un bouleversement, et ça dépend à peine des gens, qui (nous) ressemblent étrangement. Merci encore pour tous ces partages, que je ne commente pas à chaque fois mais je ne loupe rien.

  • Une jolie touche d'humour! Et ce bienvenu "pardon", dans un monde qui ne sait plus l'exprimer; mais tout de même, pauvre petite mouche! Promettez moi un peu de compassion pour la prochaine!
    Quant aux images, les lumières captées sont juste magnifiques. Merci.

  • Non! Aucune compassion pour la mouche ! et d'ailleurs les tapettes à mouche ont fait leur apparition au magasin...

  • Mais comment sont ils donc arrivés là, ces touristes envzhisseurs? Par l'hélico?? Pas encore par mer j'imagines...En attelage, comme la brigade Sirius??. De toute façon ce ne sont que les avant gardes....Courage!!!

  • Quelle mouche les a piqués pour se sentir fascinés par le Grand Nord, là où repose sous une épaisse couche tout le silence du monde et que l'on perçoit parfois dans le coquillage de nos oreilles :
    "De nouveau ce tintement aux oreilles/Le monde gronde/Mais le faible bruissement/ Le pas léger/
    La voix de mon silence/Je les entends mieux"
    Arséni Tarkovski

  • quel beau texte de Tarkovski, parfaite illustration du silence de l'arctique, merci jaakusi

  • Ahhhh, with extended hours of daylight comes the flood of aliens. I like how you associated tourists with insects. Although, I still don't know how swarms of mosquitos exist up north in the summer months. Do they fly south for the winter like birds do and return in springtime? Be well and enjoy, Dominique!

  • En quoi sont ils plus touristes que vous?
    Je vous invite à échanger avec eux à leur retour au village dans 3 semaines.
    Dommage j'aimais bien ce blog.

  • chère Vallee, mais oui bien sûr je ne suis pas moins touriste qu'eux, c'est d'ailleurs très exactement ce que je dis dans mon dernier paragraphe ! Peut-être vous êtes vous découragée avant de lire la fin ? Loin de moi l'idée de me mettre à part, au dessus ou en dessous. Ne vous inquiétez pas, nous avons déjà passé de bons moments ensemble à l'auberge avant leur départ et je me ferais un plaisir de leur cuisiner un bon dîner de retour. Car je suppose que vous parlez de Léon et Dominique. Mais nous avons aussi eu de bons moments avec Jorg, avec Conni et Bernd et avec les quatre photographes français (qui eux savent déjà que je les ai traités d'envahisseurs) le tout dans la bonne humeur. Je suis désolée que mes traits d'humour aient pu vous heurter. Restez fidèle au blog !

Les commentaires sont fermés.