Ittoqqortoormiit, 368 humains, 186 chiens officiellement recensés mais plutôt 240 selon les habitants. C’est à dire vingt attelages dont les 12 des « Piniartii », les chasseurs professionnels. On est bien loin des 1000 chiens qui vivaient et travaillaient ici encore au début des années 90. Mais où sont-donc passés nos attelages d’antan ?
Les deux populations vont en diminuant, celle des chiens plus vite que celle des humains. En feuilletant mes vieux carnets de voyage, j’avais noté 600 chiens en 2004 pour un peu plus de 550 habitants (humains). Déclin des chiens, général au Groenland, mais plus étonnant dans ce village isolé où l’on imagine que la vie traditionnelle aurait résisté au modernisme.
Le jeune vétérinaire Frederik, venu en mission depuis Nuuk, soulève un petit coin du voile mystérieux. Le déclin des chiens au Groenland a commencé dès le début des années 2000. Nous parlons bien entendu de chiens de travail. On comptait encore 30000 chiens d’attelage en 2000, il n’y en a plus que la moitié aujourd’hui. Mais pourquoi donc ?
Parce que le Groenland fait face à une conjonction de paramètres, le développement économique, l’urbanisation galopante, la possibilité d’utiliser moto-neige et quads, la diminution de l’intérêt pour le trop rude métier de chasseur. Et comme si cela ne suffisait pas, la santé (des chiens). Il y a eu ce coup de grâce en 2016 sur la côte Ouest où un méchant virus a emporté 400 chiens dans la région d’Ilulissat.
Et puis il faut aussi compter avec les accidents de parcours. Je me souviens de cette année 2011 où une brutale tempête hivernale, en fracturant la glace devant le village, a emporté une centaine de chiens malgré les efforts des chasseurs.
Mais revenons à Ittoqqortoormiit, et à la mission de notre jeune et charmant véto. Naalakkersuisut – le gouvernement groenlandais - lance une grande campagne de vaccination (des chiens). Qui s’accompagne du marquage par l’injection d’une micro-puce, histoire de mieux surveiller la population (canine). A grand renfort de réunions d’information, de formation, de procédures. Une fois Frederik parti, c’est Dines l’inspecteur des chiens qui reprendra le flambeau des vaccinations et marquage. Obligatoires, c’est la loi
les chiots élevés près de la meute seront ainsi acceptés lorsqu'ils seront attelés
L’inspecteur des chiens doit aussi veiller à ce qu’aucun chien errant ne vienne troubler les attelages à la chaîne. Mis à part les chiots de moins de 6 mois qui, eux, ont le droit de gambader librement. Les chiens errants doivent être abattus. C’est la loi.
Peu de temps après le départ de Frederik, je constate qu’il n’y a presque plus de chiens errants dans le village. Diablement efficace, cet inspecteur des chiens, me dis-je. Que je suis naïve, c’est tout simplement que la glace devenue solide, les propriétaires ont récupéré leurs chiens vagabonds.
Les deux frères, 3 mois et déjà sacrément puissants
Car comme le disait justement un habitant, en regardant sans ciller le chef de la police : « La loi ? Quelle loi ? Écrite par ceux de l’Ouest, pour ceux de l’Ouest. Ici, à l’Est, la loi ne s’applique pas ».
Ça ne vous rappellerait pas un certain village gaulois ?
[Un très grand merci à Frederik Fabricius ainsi que les propriétaires de chiens pour leur patience et leurs réponses à mes questions curieuses. A warm thank to Frederik Fabricius and the dogs owners for their patience and answering my curiosity.]
Commentaires
on apprend vraiment beaucoup de choses à travers vos écrits... que de découvertes nous faites-vous faire, qui devraient être largement diffusées au-delà du petit cercle passionné par le Grand Nord, son - ses - histoires, ses habitants et leurs coutumes, leurs modes de vie, l'environnement...j'essaie de partager le plus possible vos publications sur mon FB...et...en attendant l'ouvrage que vous tirerez - n'est-ce pas???- de cette magnifique aventure. Merci merci!!!
Thank you, Dominique, for answering questions I forgot to ask and for sharing your experience! Qujanaq!
En 2016, j'étais (en été) dans la région de Tasiilak, en contact avec une jeune américaine qui faisait une étude sur les chiens de travail, je n'ai rien entendu de cette épidémie.
Il y avait beaucoup de naissances de chiots, et aussi des adultes errants, parmi ceux qui sont à la chaine. A Kulusuk. J'ai vu des chiens enchaînés sur des terres inondées, quelle tristesse !
Une fois n'est pas coutume, je réponds donc au commentaire de Raymond, ce qui me permet d'apporter certaines précisions. Vous dites que vous étiez à Tasiilaq. Il est donc normal que vous n’ayez pas entendu parler de cette épidémie (canine distemper pour être précise) qui a sévi comme je l’indique dans mon article sur la côte Ouest dans la région d’Ilulissat. Vous n’êtes pas sans savoir, certainement, qu’il n’y a bien entendu aucun échange canin entre ces deux côtes. L’épidémie a eu lieu en janvier 2016.
Je tiens à préciser ici que lorsque je publie un article, malgré leur concision et le ton léger que j’utilise, il est étayé par un travail de recherche très approfondi. Recherches personnelles, analyse des statistiques officielles groenlandaises, longues interviews, croisement des informations entre les différents interlocuteurs, observations personnelles au fil de mon séjour de longue durée. Je ne me permets aucune publication dont je ne sois pas sûre. Sur cette question de l’épidémie, cette information résulte d’une longue interview du vétérinaire travaillant au département « fisheries and hunting » du gouvernement groenlandais, en mission ici pour le dit gouvernement. Je pense qu’il ne pouvait y avoir plus fiable comme source d’information.