Le plus minuscule des postes de police pour le plus grand des territoires ! C’est ainsi que Monsieur le chef de la Police d’Ittoqqortoormiit présente sa fonction, non sans humour.
L’oeil bleu danois se plisse, malicieux. Car derrière derrière l’uniforme impeccable se cache l’homme d’une grande humanité. Que se passe t-il, me direz vous ? Moi, la rebelle à toute autorité, je ferais l’apologie d’un policier ? Serait-ce encore un mauvais tour de ce vertigo polaire ? Non point, il faut parfois savoir rendre justice.
Depuis son bureau d’à peine 10m² qui jouxte l’aire de jeux des bambins, Peter fait donc régner l’ordre et la justice sur un territoire d’un million de km², ce qui doit représenter deux fois la France, à peu près. Avec l’aide de son adjoint Hans-Henrik, groenlandais d’Ittoqqortoormiit et de deux autres assistants assurant les permanences.
L’officier représente ici l’autorité de l’état danois. Si le Groenland marche vers son indépendance, l’armée, la police, la justice criminelle et la monnaie restent encore sous tutelle du Danemark. C’est là que commence un exercice qui demande une certaine souplesse : représenter l’autorité du Danemark en faisant appliquer la loi groenlandaise. Fort heureusement, les lois groenlandaises sont fortement inspirées du modèle danois et les conflits bien rares.
juste en face du bureau, la cellule...
Ding-dong ! L’officier, prudent et armé, déverrouille la porte du poste de police. Sur le seuil, un homme débraillé, sans bottes, vociférant, le visage ensanglanté. On tente de calmer l’homme, qui est convié à entrer dans la cellule de détention. Il y restera 24 heures au plus, après que le médecin de l’hôpital ai constaté l’état de l’homme et de la cellule. Il est 3 heures du matin.
C’est aussi cela, le quotidien du représentant de la loi. Shériff sans répit et sans repos, il est le conciliateur, le dernier recours, le confident, l’assistant social. Une femme vient-elle à demander assistance, c’est Conni la belle compagne de l’officier qui constate les dégâts et console. Drôle de destinée pour une artiste peintre de très grand talent, inspirée par ce lieu unique.
Il n’y a pas de prison ici, comme dans nombre de petites communautés groenlandaises. La « cellule » est bien souvent de dégrisement et si l’acte est plus grave le prévenu sera présenté au juge. Qui est à Nuuk tout comme l’avocat, et donc à 2 jours de voyage. La présentation se fera par skype, ça fait très chic. Le coupable doit être transféré à Nuuk ? Le jovial adjoint Hans-Henrik le prend en charge. Inutile de menotter l’homme, où pourrait-il bien aller et d’ailleurs, c’est un vieux camarade d’école du policier. Ils vont partager une chambre à Reykjavik et prendre un peu de bon temps.
Le quotidien de l’officier ferait passer les Racontars Arctiques de Jörn Riel pour des albums jeunesse de la comtesse de Ségur. Vous l’aurez compris, le poste de police d’Ittoqqortoormiit ne peut être confié qu’à un homme d’expérience. Six ans pour être précis, dont un poste préalable au Groenland. Mental d’acier inoxydable et coeur d’or, Peter est un homme de terrain. Après le Kosovo, l’Afghanistan, il est ici pour une année. Hans-Henrik, lui, occupe sa fonction d’adjoint depuis onze ans déjà.
le drapeau en berne, en hommage au Prince Henrik
Il y a aussi la paperasse, les passeports, les assignations de ceux qui oublient de payer leurs loyers et les permis de conduire. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de signalisation routière -où pourrait-il y en avoir quant il n’y a pas de route- qu’il ne faut pas une licence en bonne et due forme pour la centaine de quads qui slaloment entre les congères du village. Fort heureusement, il suffit d’avoir 18 ans pour sillonner la banquise en motoneige. Et comme il y a à peu près autant de motoneiges que de quads, on change les plaques selon la saison pour ne payer qu’une seule fois la taxe. Malin !
le village en bordure d'autoroute
Pour l’instant, le poste de police d’Ittoqqortoormiit n’a pas encore reçu de demande d’asile de réfugiés politiques. Ne ricanez pas, cela a déjà été le cas à Qaannaaq, tout au Nord de la côte Ouest là où les chasseurs portent encore les culottes de peaux d’ours. Terminus Nord.