Jan, paisiblement installé, déguste avec délectation la chair savoureuse de tête d’ours. Mais pas de n’importe quel ours. Interview et photos exclusives de celui qui s’est battu à poings nus contre le seigneur de l’arctique.
Car voyez vous, Jan Lorentzen peut doublement savourer son ours. Certes l’homme est une force tranquille de la nature mais il lui aura surtout fallu un extrême courage et un sang froid exceptionnel pour sortir vainqueur de ce pugilat arctique. Cela s’est passé ici même, ce lundi 19 mars. Une date qui restera dans les annales groenlandaises.
Laissons la parole au vainqueur de l’ours.
« C’était lundi, je suis allée en motoneige jusqu’à notre maison de Unartoq (cf. post précédent Les Hameaux). Il commençait à y avoir un peu de vent, je m’apprêtais à rentrer mais auparavant je devais faire le plein de fuel du groupe électrogène, dans une petite cabane à 20 m de la maison. Je sors de la cabane et là, je vois des traces d’ours toutes fraîches. Il était 5h30 de l’après midi. »
Unartoq, le hameau du cap Tobin, le lieu de la bataille épique
« Je regarde à droite, à gauche, rien. Je ferme la porte, je me retourne. L’ours me faisait face, à 10m. L’espace d’une fraction de seconde, nous nous sommes regardés droit dans les yeux. Mon fusil était à l’intérieur de la maison.
Alors je brandis ma pelle, je hurle. L’ours bondit. Je tente d’aller vers ma motoneige, l’ours me fait face. Je lui assène un coup de poing sur la nuque, l’ours s’arrête net. A nouveau je vais vers la motoneige mais cette fois l’ours attaque, gueule ouverte. Je lui décroche une manchette sur le museau »
« L’ours s’immobilise, je fais à nouveau deux ou trois pas vers la motoneige en hurlant bras levés. Je veux démarrer la motoneige, le starter est bloqué. L’ours est à nouveau sur moi. Cette fois, je lui donne un troisième coup sur l’épaule. J’arrive enfin à démarrer et l’ours s’arrête deux secondes, effrayé par le bruit. Je pars en trombe, l’ours tente de se rapprocher, gueule ouverte. Il est gêné par le nuage de neige soulevé par ma vitesse. Je veux revenir vers la maison pour saisir mon fusil. L’ours attaque à nouveau, je renonce et m’enfuis à grande vitesse. Cinq cent mètres plus loin, j’appelle mon fils et le chasseur Gabba. Ils sont là un quart d’heure plus tard et nous retournons tous à Unartoq. »
« Dès que nous sommes à 50m, l’ours reprend son attaque. Mon fils se dirige vers la maison, l’ours le poursuit. Gabba tire un premier coup, puis mon fils. L’ours est abattu sur le coup. Un jeune d'environ 3 ans. »
La fin de l’histoire
Rentré chez lui, Jan est saisi de tremblements. Mais après une bonne nuit de sommeil, il reprendra naturellement son travail, interrompu parfois par les journalistes qui se pressent au téléphone. Il garde la main et le poignet droit bien enflés. Jan est une figure d’Ittoqqortoormiit, l’homme qui fournit l’énergie à la communauté depuis son joli bureau bleu – la plus belle terrasse du village avec vue sur la baie des morses - d’où il contrôle les réservoirs de fuel.
Récit recueilli le mercredi 21 mars, à Ittoqqortoormiit.
La station de fuel en décembre
Petite note pour les curieux : seuls les chasseurs professionnels, les « Piniardu » comme Gabba, peuvent chasser l’ours. Je vous promets que nous reviendrons bientôt sur cette incroyable vie de chasseur, et sur nanoq l’ours polaire.
Commentaires
Encore mieux que du Jorn Riel !
La Balle perdue !
Un connaisseur, bravo !
Certains, dont moi, connaissent une autre histoire d’hommes de grand courage, comme celui de Jan. Ceux là, ils étaient deux, face à la bête, n’ont pas tiré. Incroyable mais vrai, ils ont chanté, ou plutôt hurlé à tue-tête pour faire fuir la bête. Mais hurlé quoi ? L’ « internationale » ! Et oui, à plein gosier, « la lutte finale » leur a évité une lutte carnassière, car l’animal a fui.
Mais l’animal de mon histoire était un loup… peut-être que les ours n’entendent rien aux chants révolutionnaires.
En tout cas, tant qu’il y aura des hommes courageux, ah, ça ira, ça ira… !
Le courage est en effet une bien belle vertu, et je suis bien chanceuse d'avoir mon héros personnel, même si son répertoire de chant est un peu limité! Merci à toi, Anne , d'admirer aussi mon héros. Ceci dit, se battre au contact avec une bête aussi puissante et terrifiante représente à mon sens l'extrême du courage et de la détermination. Et de le voir tout tranquillement assis à son bureau, quelques heures plus tard, avait un petit côté surréaliste !
Quel homme! Bravo a lui...
Quel courage !
Celui qui a permis à ce peuple valeureux de survivre dans cette région si difficile, et en plus y développé une civilisation hautement technique avec les moyens locaux.
Merci pour ces partages