Arnannguarq, souriante, accroche le linge de la maisonnée au séchoir qui jouxte la maison. Le vent s’en empare. Il fait -15°C et dans quelques instants la neige reprendra de plus belle. Curieux.
Vous rêvez d’un linge qui sente bon le frais sans artifice ? Voici la solution, la lessive à la méthode d’Ittoqqortoormiit. Je questionne Arnannguarq : mais comment ton linge va t-il sécher avec ce froid et toute cette neige ?
L’air sec et le vent vont sécher mon linge bien vite et il va sentir si bon. Si la neige revient, eh bien nous attendrons et il sentira encore plus le frais.
Ça, je veux bien le croire.
Arnannguarq est privilégiée. Sa maison est équipée d’un réservoir d’eau et d’un lave-linge. Sa cousine Hilda, elle, doit se rendre à la maison de service communale et pour quelques euros, elle profite de machines rutilantes, tables à repasser, et même séchoir. A l’occasion, elle profite de la salle de douche en attendant son linge.
le réservoir, en décembre 2017
Mais d’où vient l’eau du lavoir ? Vaste question lorsque l’on sait que le village est construit sur la roche vive, qu’il gèle sévèrement une grande partie de l’année et que pour l’heure la rivière est un bloc de glace recouvert d’un épais manteau de neige qui sert de parking à chiens. Un petit tour aux installations techniques s’impose.
Erling Rasmussen me fait les honneurs du lieu. C’est lui qui dirige depuis maintenant 6 ans les installations Nukissiorfiit, en quelque sorte le Véolia et l’EDF du Groenland. Il le dit lui même, ici est le cœur du village. Et il y tient, à son village où il est arrivé il y a 30 ans. Un cœur qui bat grâce à Erling et son équipe de 5 techniciens qui ne doivent compter que sur eux même, isolement oblige.
Je ne résiste pas longtemps à l’attrait d’une visite aux générateurs. Trois unités diesel pour un total de 1110 kW, sans compter les 800 kW des deux unités de secours, là bas de l’autre côté du village vers les réservoirs gérés par Jan (vous savez, l’homme qui se bat à poings nus contre un ours). Le tout, parfaitement automatisé, ne demande qu’une visite de contrôle quotidienne. De ce cœur de la ville, les câbles courent dans des gaines d’acier fixées sur la roche.
un poste de distribution, terrain de jeu idéal
Transformateurs, postes de distribution camouflés dans de ravissantes cabanes bleues et le tour est joué, chaque maison est alimentée en 400V. Bien des habitants se souviennent de leur enfance dans les maisons sans électricité d’avant 1971, lorsqu’il n’y avait qu’un petit générateur près du magasin.
Nous nous égarons, reprenons le fil de l’eau, l’eau de la rivière qui longe le village et celle d’un petit lac un peu plus haut dans la montagne. C’est cette belle eau, si vivante et garantie bien fraîche que nous buvons chaque jour et qui, donc, lave notre linge. Jusqu’au printemps, on pompe l’eau du lac qui remplit le réservoir de 2000m³, de quoi tenir 4 mois. Puis, de la mi-juin à la mi-décembre, on profite de l’eau de la rivière.
Encore faut-il amener l’eau aux maisons. Je devrais dire aux seules 130 maisons du village équipées d’un réservoir. Les habitants des autres maisons, c’est à dire la moitié du village, en est quitte pour aller puiser l’eau aux deux robinets publics de la ville. Et croyez moi, haler ses lourds jerricans sur les congères, redescendre en dévalant les buttes de neige, lorsqu’il fait glacial et que le vent souffle en furie, demande une sacrée énergie. Chaque goutte est comptée dans ces simples maisons.
La neige n'arrête pas le porteur d'eau...
Nukissiorfiit livre donc l’eau à domicile, si bien sûr vous avez souscrit au contrat qui n’est pas gratuit. Les deux conducteurs d’engins sont des virtuoses, capable de lancer leurs Bombardier à chenille sur des pentes vertigineuses de neige profonde, par tous les temps. Les trois engins d’hiver portent entre 4 et 8 réservoirs de 360 litres chacun, faites le compte. Un quatrième, d’un rouge rutilant, sert également sur la route empierrée lorsque la neige disparaît. Chapeau bas les artistes.
Enfin quand viendra l’été et pendant trois mois, l’eau va pouvoir glouglouter gaiement dans les tuyauteries qui courent sur la roche, jusque dans les maisons.
Et voici comment, malgré la glace, malgré le froid, Arnannguarq et Hilda peuvent laver un linge qui sentira si bon.
Commentaires
Très interessant!! Pour le linge, est ce comme en Sibérie, ou l'on met le linge dehors par -40 pour le stériliser, ou même simplement le laver.?
Merci pour tous vos posts!!
Très cordialement.
Ici tout est ingénieux et courageux … et cela particulièrement l'hiver.
Cette neige sèche m'interpelle …
mais les photos sont bien explicites et la dernière … coup de foudre …