Vu de ma fenêtre #22 Tsunami

Le choc ce matin au réveil. La belle banquise qui longeait le village depuis de longues semaines est disloquée, brisée, éparpillée façon puzzle gargantuesque. Que s’est-il passé cette nuit ?

Jeudi 29 mars

lever du soleil 6h44

coucher du soleil : 20h23

température -12°

grand beau, soleil voilé mais puissant

Il était si bien dessiné, notre bord de banquise, si solide et propice à la chasse. On aimait le longer, c’est tout juste si on ne se serait pas assis sur le bord pour faire trempette. Et quelle belle vue on avait de là sur le village enseveli sous la neige. Et comme les chiens s’en donnaient à cœur joie en remontant vers le village le chasseur, le traîneau et le frêle esquif qui sert à ramener sur la glace les bons phoques bien gras.

C’était bien vite oublier les rigueurs et les imprévus de l’Arctique. Cette nuit, ceux qui habitent au plus près du rivage ont entendu les vagues violentes se fracasser, venues du large, de l’océan au-delà de l’entrée du fjord. Bien sûr personne n’a pu voir ce qui s’est réellement passé. Mais écoutons les explications de Torbjorn le directeur de l’école (car il faut toujours bien écouter son directeur d’école).

Un vague est née à l’embouchure du fjord, fort probablement à la suite de l’explosion ou du retournement d’un de ces géants de glace qui dérivent le long de la côte, venant du Nord. On appelle aussi ces vagues « vagues de Tsunami » bien qu’elles ne soient pas provoquées par un tremblement de terre.

Une fine couche de nouvelle glace était tout juste en train de se reformer après la très violente tempête du dernier week-end – on a enregistré des rafales à 40m/s. Si bien que, partant du rivage, on avait : une bande de banquise bien solide, puis une vaste zone d’eau libre avec une fine couche de glace en formation, puis plus loin les monceaux de glaces dérivantes venus du large.

La vague a passé outre les glaces dérivantes déjà morcelées, n’a pas même jeté un regard sur la fine glace nouvelle qui s’est envolée, et s’est attaquée frontalement à la banquise solide, pour la fracasser en innombrables îlots.

Le spectacle en est très beau, mais cela ne fait pas du tout l’affaire des chasseurs. Et tous ceux qui pensaient passer les fêtes de Pâques dans les hameaux en seront bien déçus. Heureusement les chiens avaient été remontés à terre, aucun n’a souffert de la vague. Seul un imprudent, détaché, erre aujourd'hui sous l'oeil impuissant de son maître. Un ours était là, aussi. Il lui en faudra, de la chance, pour se sortir de ce labyrinthe mouvant.

De honte, là bas à l’entrée du fjord, les icebergs se sont cachés dans la brume.

ps: certains de mes fidèles lecteurs auront peut-être noté qu'il n'y a pas eu de "vu de ma fenêtre#21". C'est que l'histoire de l'homme qui s'est battu contre un ours a pris toute la place...