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Science participative arctique

Concentrés, attentifs, les chasseurs font cercle autour de la table. Janne sort un GPS de sa boîte, puis 9 autres, explique, distribue. Intriguée, je les observe sans comprendre. Un de ces moments où je regrette mon danois inexistant et mon groenlandais balbutiant.

Le calme revient dans la Guest-House, je presse de questions Janne Flora l’anthropologue venue de son université de Aarhus au Danemark. Pourquoi a-t’elle réuni les 10 piniardu chasseurs professionnels d’Ittoqqortoormiit, et ces GPS distribués pourquoi faire puisqu’ils ont tous un GPS dans leur ADN, et ces dossiers que disent-ils ?

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Jane Flora, passionnée et lumineuse anthropologue

Janne se plie au jeu de ma curiosité, il reste du café dans les thermos et des biscuits à la cannelle, on pourra tenir une bonne soirée. Nous sommes fin novembre, la nuit est longue. Je sors mon carnet fidèle compagnon de mon hivernage.

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Tout part d’un constat : le trafic maritime autour du Groenland a considérablement augmenté ces dernières années, et la côte Est n’échappe pas au phénomène. A la faveur du retrait des glaces, les routes maritimes arctiques entre Atlantique et Pacifique vont devenir de plus en plus attrayantes, sans compter les récentes licences d’exploration d’hydrocarbures accordées en 2013 en mer du Groenland. Je commence à entrevoir le risque de l’odieuse marée noire. J’en frissonne.

Ce qui est sûr vu d’ici, c’est l’arrivée des paquebots de croisières qui entrent dans le Scoresby dès que la glace cède, en été.

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baie des morses, le port des chasseurs

Alors il faut bien faire face, convoquer les scientifiques. Dresser un tableau complet du risque de fuite d’hydrocarbures, prévenir les fâcheuses conséquences sur l’environnement si fragile de l’arctique, identifier les zones sensibles y compris pour les humains.

Et c’est justement là qu’intervient Janne l’anthropologue et les 10 Piniardu. Naalakkersuisut, le gouvernement du Groenland, a confié l’étude d’un Atlas aux scientifiques du Greenlandic Institute for Natural Ressources et de l’Université danoise de Aarhus.

Me voilà donc initiée aux arcanes du « Oil Spill Sensitivity Atlas ». Dressé sur toute la côte Ouest du cap Farvel à Qaannnaq entre 2000 et 2016, enfin il devient réalité aussi pour la côte Est, il était temps. La copie doit être rendue début 2019, il va falloir faire vite.

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côte de Blosseville en juillet

Car toutes les disciplines sont concernées, géologie, biologie de la flore et faune marine et terrestre, archéologie et bien sûr l’activité des hommes, pour chaque saison. Rivages et offshore sont scrutés, maillés, analysés et il en résulte une classification en 4 niveaux de la sensibilité au risque hydrocarbure.

Et ça sert à quoi tout ce travail et ce bel Atlas, me direz vous? A informer et prévenir les industriels, les armateurs qui doivent analyser les risques pour obtenir licences et permis. Et surtout, objectif essentiel, organiser l’intervention des secours, où se diriger en priorité, et quels moyens employer. Secours qui ne seront autres que la Marine royale danoise.

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Janne vibre au coeur de son sujet, c’est pour étudier l’activité humaine dans le Scoresby Sund et sur la côte que les Piniardu ont été dotés de ces GPS et du logiciel qui permettra de garder la trace de chacune de leur sortie de chasse. Tout y sera enregistré pendant une année, la route suivie, les observations de la faune, les prises de chasse. Et le tout participera à la grande moulinette de l’Atlas. La méthode a déjà été testée avec les chasseurs de Qaannnaq, leurs frères du Nord-ouest. Bien plus efficace que l’ancienne méthode d’interviews, s’enflamme Janne.

Toutes ces savantes explications me laissent perplexe. Mais où donc est l’intérêt des chasseurs qui connaissent si intimement leur territoire et ses évolutions. Jane la passionnée a réponse à tout : les chasseurs deviennent acteurs, ils auront accès à toutes les données et analyses, ils sont conviés à utiliser les fonctions photos et vidéos qu’ils peuvent utiliser à leur guise pour leur propre compte. Ceux de Qaannaq en ont fait un remarquable film. Ils y gagnent le contrôle de leur propre communication.

Et puis, cerise sur le nez du phoque : à chaque utilisation du GPS, le chasseur est rémunéré. Et ça, ça compte quand on dispose de si faibles revenus.

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Mars 2018, Janne revient, retrouve les piniardu, vérifie. Sur les écrans, les zigzags des routes s’enfoncent dans le fjord, slaloment entre Terre de Liverpool et Terre de Jameson. Tout fonctionne, les zigzags alimentent déjà le big data de l’Atlas.

 

Commentaires

  • ne faudrait-il pas organiser une mobilisation, des actions pour que soit promulguée une loi, un moratoire pour la protection de cette région si sensible et fragile qui risque de subir l'envahissement polluant des touristes lamdas et des industriels avides??? et celà avant que les dégradations déj) en marche ne s'étendent à tous les niveaux?

  • Certainement pas. Le Groenland est un pays souverain, doté d’un gouvernement élu démocratiquement et qui est en marche vers l’indépendance politique vis à vis du Danemark, ce qui passe par une indépendance économique. A eux, et eux seuls, de décider de leur avenir. Vous comme moi utilisons des tombereaux de pétrole chaque jour, alors quel droit aurions nous de promulguer des interdits pour d’autres. Quant aux touristes, j’en suis une régulièrement dans ces contrées, je viens d'en être une pendant 6 mois, je prends avions et hélicoptères. Et je n’ai pas envie de m’arrêter, alors je ne m’arroge aucun droit de juger ceux qui préfère le paquebot de croisière.

  • J'espère juste que les groenlandais ne seront pas mis à l'index.
    Dans mon précédent "travail" j'étais parmi un peuple premier.
    Nous avons eux quantité de scientifiques. Un seul sur un bonne douzaine nous avait redonné des nouvelles après sont départ !

  • Les chasseurs auront non seulement un retour des informations fournies, mais ils auront accès à tous les documents et rapports émis. De plus, comme indiqué dans la chronique, ils s ont rémunérés et peuvent utilisées librement les informations (photos, vidéos). Ils ne sont donc pas "mis à l'index", c'est bien de science participative dont il s'agit.

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