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Au Travail !

John, les mains dans le cambouis, termine la réparation héroïque de la motoneige. Isolement oblige, ici il faut tout construire, réparer, rafistoler, cajoler sans aide venue d’ailleurs. John est l’un des trois vaillants entrepreneurs de la communauté. Mais que font donc les 167 autres habitants en âge de travailler dans ce village perdu au milieu des glaces ?

 

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La robuste Yamaha ressort aussitôt du garage en ronronnant de plaisir. On a beau vivre à 71° de latitude Nord et être à 2 jours d’avion de son plus proche voisin, une moto neige mérite tous les soins. Un travail d’artisan, rondement mené dans l’atelier perché en haut du village qui fleure bon la graisse et le métal chauffé, comme dans tout garage. John s’accorde une petite pause, et j’en profite pour le passer à la question.

John a le regard fier de ceux qui ont construit, entrepris, non seulement pour offrir une confortable maison à leur famille, mais aussi pour le bien de la communauté. Il a racheté ce garage historique de son fondateur danois, après 4 années d’études au Danemark et une longue expérience dans ce même garage. Aujourd’hui l’école de mécanique est à Nuuk, la lointaine capitale de la côte Ouest.

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Sa petite entreprise ne connaît pas la crise. John’s Auto dorlote les 100 motoneiges, autant de quads et les 8 voitures du village, importe les pièces et les nouvelles machines, s’honore d’être le revendeur agréé Yamaha. Quant à mon voisin Karl, il assure les travaux de peinture, d’électricité et de plomberie. Bien utile pour l’aménagement des toutes nouvelles toilettes munies de chasse d’eau dans les bâtiments publics, sous la direction du plombier islandais.

Il est un empereur en Ittoqqortoormiit : Augu règne sur un auguste empire, ITT BYG. Comprenez Ittoqqortoormiit Construction. C’est lui qui dirige les deux dragons jaunes, ceux là même qui tranchent les routes dans les congères et libèrent les maisons ensevelies. Il livre le fuel à la centrale électrique et dans chaque maison équipée d’un réservoir. Son empire s’étend aussi à « ma » Guest-House et à la petite structure de tourisme Nanu Travel. De lui dépend aussi l’activité touristique - bien timide au demeurant, pourvoyeuse de quelques journées de travail pour les chasseurs recrutés comme guides.

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Tout ce dynamisme n’occupe en réalité qu’une douzaine de personnes. Pas de quoi donner du travail à tous. Comme dans bien des villages du Groenland, c’est l’état qui reste le plus gros pourvoyeur. L’administration de la commune, les services techniques, l'école, la crèche, le centre de formation des jeunes adultes, l'hôpital, la station télécoms et météol’Église, donnent un travail régulier et qualifié à 74 adultes. La moitié des forces vives vit directement des perfusions de l’état.

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Nukkisiorfiit, l’EDF et Véolia locales fonctionnent avec 4 permanents, le magasin Pilersuisoq et la station Polar Oil emploient régulièrement 21 travailleurs bien souvent à temps très partiel. A quinze minutes d’hélicoptère d’ici, 24 employés se relaient aux services de l’aéroport. Il y a aussi les deux minuscules magasins, le grill qui propose des savoureux chiens-chauds juste à côté de l’école, un gérant de société qui veille à la bonne santé de l’empire d’Augu. Voilà, on a fait le tour des travailleurs.

Le tableau d’un village au travail ne serait pas complet si je ne vous parlais pas du Clan d’Augu, l’empereur du village et ses florissants business. Sa nichée de soeurs et de filles, géantes autant que souriantes, occupe tous les postes vitaux du village : professeur, postière-banquière, gérante du magasin, de l’agence de tourisme, assistante du directeur d’école, responsable de l’animation communale, directrice de la crêche, animatrice du club des femmes. Et directrice du bureau de la Komuna. Incontournables. A Ittoqqortoormiit la parité est une question inversée.

Il reste ces malheureux 25 adultes en âge de travailler, qui errent désœuvrés pas toujours en ligne droite, sans grande énergie pour sortir un jour la tête de l’eau glacée. Ceux là attendent les allocations sociales du vendredi qui s’évaporent illico en fumée et en bulles.

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Et les chasseurs, où sont-ils dans ce tableau d’un village au travail ? Dans la vie réelle, Ils sont dix dynamiques Piniardu, mais ça vous le savez déjà. Leur si dur labeur ne donne pas bien souvent lieu à de vrais revenus, alors ils disparaissent des statistiques officielles. La belle et saine nourriture qu’ils apportent aux habitants n’a pas de valeur marchande et les seuls créateurs de richesse ne sont que très modestement imposables.

L’âme de la communauté est officiellement invisible.

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